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FRANCE 5 – DIMANCHE 15 SEPTEMBRE À 21 H 05 – DOCUMENTAIRE
Huit ans après leur vote favorable à la sortie de leur pays de l’Union européenne (UE), les Britanniques n’en ont pas fini avec le Brexit. Si la question n’a curieusement guère été débattue lors des élections législatives britanniques de juillet, qui ont ramené les travaillistes au pouvoir, c’est que le fossé créé par le référendum de 2016 reste béant et les conséquences politiques explosives dans un pays qui se targue de sa stabilité et de sa modération.
C’est tout le mérite du saisissant documentaire réalisé par Thomas Johnson et écrit avec Eric Albert, journaliste au Monde, que de décrire et d’analyser les dégâts profonds causés par le Brexit sur le long terme. Economie entravée, réputation internationale écornée, chaos politique… Les conséquences néfastes de la rupture du Royaume-Uni avec ses voisins européens sont amplement documentées et ressenties, au point qu’une majorité des Britanniques regrettent désormais ce choix. Un nouveau terme a été forgé pour désigner cette tendance : le « Bregret » (une combinaison de « Brexit » et « regret », « regret du Brexit »).
Mais le Brexit a eu une conséquence d’un autre ordre dans l’opinion : une perte de crédit accélérée à l’égard des responsables politiques et des institutions et un large sentiment de trahison. A l’amertume, voire à l’aigreur, de la moitié des électeurs qui avaient voté pour demeurer dans l’UE, s’est ajoutée la colère des brexiters, l’autre moitié des citoyens britanniques qui avaient cru aux promesses insensées de Boris Johnson et ont vite déchanté.
Le film fait bien entendre ce double ressentiment : celui des petits pêcheurs électeurs pro-Brexit en 2016 auxquels on avait promis monts et merveilles, mais dont le Brexit a précipité le déclin, comme celui des jeunes pro-européens dont l’horizon s’est rabougri et qui se sentent « prisonniers d’une décision prise par des vieux ». « On s’est tous fait embobiner », résume une pittoresque professeure de danse dans le documentaire.
Que peut-il sortir de cet immense gâchis ? Le Brexit ressemble à une cruelle opération vérité : privés de la démagogie qui consistait à rendre Bruxelles responsable de tous les maux, les conservateurs au pouvoir se sont retrouvés en première ligne avec leurs mensonges. Ils ont montré qu’ils n’avaient pas la moindre idée de la façon de gérer l’après-Brexit. Et que leurs promesses − « reprendre le contrôle », « Grande-Bretagne mondiale », etc. − n’étaient rien d’autre que des slogans vides. Même le remplacement du clownesque et menteur Boris Johnson par le « sérieux » Rishi Sunak n’y a rien fait.
La force de ce documentaire est de montrer que les désillusions nées de cette impressionnante liste de promesses trahies ont non seulement accéléré le divorce entre l’opinion et les politiques, mais aussi favorisé la radicalisation du Parti conservateur et renforcé l’extrême droite, avec des conséquences profondes sur le paysage politique.
Certes, l’alternance politique s’est faite au profit des travaillistes. Mais l’élection comme député, en juillet, de Nigel Farage, premier artisan du Brexit, et les émeutes antimusulmanes de juillet fomentées par l’extrême droite montrent à quel point les forces de repli et de haine pèsent désormais sur le pays.
Sur ce point, on tend l’oreille à l’apparition dans le film, en tant que chef des négociateurs du Brexit, du nouveau premier ministre français, Michel Barnier. Il cite la « colère populaire » comme la première cause du non des Britanniques en 2016. Et invite à « ne pas confondre le populisme avec la nécessité d’écouter, de comprendre » cette colère et d’« y répondre ».
Dans ce tableau inquiétant mais riche, on regrettera cependant l’absence d’analyse de la position du Labour, désormais aux manettes, sur l’Europe. Les trop fréquentes apparitions de Tony Blair, électron libre perspicace mais totalement démonétisé dans son pays, n’en disent rien. Les raisons pour lesquelles les Britanniques, bien qu’ayant viré leur cuti sur le Brexit, semblent bien loin de frapper de nouveau à la porte de l’UE sont elles aussi escamotées.
Le nationalisme anglais, l’insularité et le sentiment de l’exceptionnalisme britannique sont évidemment loin d’avoir disparu avec les désillusions nées de la rupture avec le continent. Sans compter l’orgueil, tempéré, il est vrai, d’humour anglais. « On a fait un mauvais choix, mais on s’y tient. Sinon on va passer pour des imbéciles », ironise Rachel Johnson, sœur pro-européenne de l’ex-premier ministre. Pour conclure : « Mais c’est déjà le cas de toute façon. »
Royaume-Uni, du Brexit au « Bregret », documentaire de Thomas Johnson et Eric Albert (Fr.-RU, 2024, 70 min). Diffusé dans le cadre de l’émission « Le Monde en face », sur France 5, et disponible en replay sur France.tv.
Philippe Bernard
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